Quand l’entraide devient illégale : le paradoxe des tontines au Burkina Faso

Published from Blogger Prime Android App

La tontine, pratique ancienne de solidarité africaine, occupe encore une place centrale dans la vie économique et sociale des Burkinabè. Dans les marchés, les quartiers et même dans certaines administrations, elle constitue pour beaucoup un recours privilégié pour épargner, financer une activité ou faire face à une urgence. Pourtant, si elle symbolise l’entraide et la confiance mutuelle, cette pratique est, au regard de la législation en vigueur, strictement interdite lorsqu’elle s’organise en dehors du cadre réglementé.

La loi n° 023-2009/AN du 14 mai 2009 relative aux systèmes financiers décentralisés est claire : la collecte de fonds du public relève exclusivement des institutions financières agréées. Toute personne ou groupe s’adonnant à une telle activité sans autorisation se place dans l’illégalité. Cette restriction vise à protéger les citoyens contre des risques réels, notamment les détournements, l’insolvabilité des collecteurs et l’absence de recours légal en cas de litige. Le Trésor public, déjà en 2012, avait mis en garde : « Toute collecte illégale d’épargne fragilise le système financier national et met en danger les citoyens eux-mêmes », rappelait alors un communiqué relayé par lefaso.net.

Le paradoxe est saisissant : tandis que des citoyens peuvent être sanctionnés pour avoir organisé des tontines informelles, les institutions bancaires et de microfinance, elles, sont habilitées à proposer des services d’épargne et de crédit similaires, mais sous contrôle strict de l’État. « Nous ne faisons pas confiance aux banques, mais nous faisons confiance à nos pairs », confiait une vendeuse du marché Rood-Woko à L’Economiste du Faso (25 janvier 2024). Cette déclaration illustre le fossé qui persiste entre les institutions financières formelles et les pratiques populaires d’épargne.

Le constat est d’autant plus préoccupant que, selon la Banque mondiale (Global Findex Database 2022), près de 70 % de la population adulte du Burkina Faso n’a pas accès aux services bancaires classiques. Pour une grande majorité, la tontine demeure le seul moyen viable d’épargner ou d’accéder à un crédit, aussi modeste soit-il. Dans ce contexte, interdire purement et simplement la pratique, sans offrir d’alternatives adaptées, revient à priver une partie importante de la population d’un outil financier essentiel à sa survie économique.

D’autres pays africains, tels que le Bénin ou le Sénégal, explorent déjà des pistes innovantes pour encadrer légalement ces pratiques, en transformant certaines tontines en coopératives d’épargne et de crédit communautaires placées sous supervision. Cette démarche ouvre la voie à une réflexion plus large : faut-il continuer à considérer la tontine comme une activité illégale, ou la reconnaître comme une forme légitime de finance inclusive à adapter aux exigences contemporaines de transparence et de sécurité ?

L’économiste camerounais Joseph Tchundjang Pouemi écrivait : « La finance africaine ne se réduit pas à imiter les modèles importés, elle doit aussi s’inspirer de ses propres pratiques. » Cette réflexion conserve toute sa pertinence. La tontine, bien qu’interdite dans sa forme informelle, continue de rythmer les solidarités quotidiennes et de répondre à des besoins concrets. Ignorer ce paradoxe reviendrait à fermer les yeux sur une réalité qui, loin d’être marginale, concerne une majorité silencieuse de l’économie populaire burkinabè.

Plus récente Plus ancienne